Par les mains pour les yeux

L'escouade M : 01/12/2012 : 
http://www.cibl1015.com/l-escouade-m

 Merci à Anne-Sophie pour l’entrevue!! Merci à Marilyn Petit pour cette transcription!! Merci à Marie-Claude Paradis-Vigneault pour le partager!! Ariane: Vous êtes toujours à l'écoute de L'escouade M à CIBL 101,5 Montréal. Anne-Sophie, tu nous parles maintenant des arts scéniques Sourds. De quoi s'agit-il ? Anne-Sophie: Ben oui ! Écoute... c'est qu'à Montréal, ça foisonne de spectacle, c'est incroyable ! Y'a des artistes, des évènements culturels - on l'a vu avec des festivals comme Igloofest - mais pourtant, c'est très très rare de voir sur la scène des artistes Sourds ou des spectacles qui rendent compte, en fait, du monde Sourd, de son identité. Alors, j'ai vu passer, devant mes yeux (!), une occasion incroyable de citer un évènement comme ça. Alors, ça s'est passé lundi soir dernier et c'était une conférence-spectacle au petit Medley qui s'intitulait «Par les mains et pour les yeux». Alors, qu'est-ce que c'était ? Ariane: Le joli titre ! Ben oui, c'est intriguant ! Anne-Sophie: «Par les mains pour les yeux» ben, évidemment, ça fait référence au langage des signes du Québec. C'était une soirée bilingue, en LSQ alors en français/en langue des signes, qui mélangeait une conférence théorique sur l'identité sourde dans les arts scéniques et puis, des performances d'artistes de la scène sourde Montréalaise. Ariane: Moi, je suis curieuse ! Ça ressemblait à quoi, cette soirée ? Anne-Sophie: Ben, écoutez, c'était Marie-Claude Paradis-Vigneault qui organisait la soirée et qui produisait aussi l'évènement. ...Pis, un des premiers objectifs de l'évènement, c'était de présenter son projet de maîtrise en anthropologie à l'Université Laval qui porte sur la représentation de l'identité sourde à travers les arts de la scène. Alors, premièrement, elle a présenté une conférence qui reprenait un peu les grandes lignes de ses recherches puis, elle tenait vraiment à les présenter à la communauté sourde montréalaise qui était présente en grand nombre - c'était plus que comble, la salle au Petit Medley lundi soir - pis, elle souhaitait leur présenter parce que son projet porte sur l'identité sourde, sur eux. Elle souhaitait partager sa recherche aussi avec un public entendant pour les familiariser avec... avec les sourds. C'est donc une soirée qui était à la fois théorique et artistique pis… où il y avait des artistes qui se produisaient là pour créer, vraiment, des ponts entre la communauté sourde, la communauté entendante parce que c'est des pratiques artistiques qui sont très très peu connues du grand public, du public entendant. Fait que y'a des soirées artistiques qui permettent aux sourds... Y'a très très peu de soirée comme ça qui permettent aux Sourds de s'exprimer comme ça sur la place publique. C'est des évènements qui sont très sporadiques, très ponctuels. On pense au Moulin à Paroles, peut-être que vous en avez entendu parler : ça s'est passé en 2010, pendant la St-Jean Baptiste, au Parc Pélican, y'avait des lectures de poésies québécoises qui étaient accompagnées euh... de poésies signées par des Sourds qui signaient en LSQ. Alors, y'a vraiment une tradition artistique sourde depuis longtemps au Canada, aux États-Unis, un peu partout mais, c'est simplement que son rayonnement est très limité par la taille du réseau de contact des Sourds qui est beaucoup plus réduit pis, l'auditoire, aussi, qui est plus restreint que pour les arts de la scène des entendants. Ariane: Mais oui mais est-ce que t'as pu voir des performances, justement, à cette soirée-là ? Anne-Sophie: Euh, ben, oui ! Pendant la soirée... Ben, Marie-Claude Paradis-Vigneault a partagé la scène avec des artistes Sourds, des interprètes, des entendants puis le tout était interprété en LSQ pas Lina Ouellet mais... C'est ça alors, y'avait de la poésie signée, y'avait une vidéo, y'avait des contes qui étaient racontés mais aussi interprétés par Spectacle Interface qui est une compagnie de théâtre qui a été fondée en 2008 par Joëlle Fortin et Martin Asselin qui sont, eux, présents sur scène pendant que le conteur est là et, eux, interprètent en langage des signes le conte qui est raconté à côté d'eux. Ariane: Pis, qu'est-ce que c'est, exactement, l'art Sourd ? Anne-Sophie: Ben, l'art Sourd, c'est comme l'art : C'est une manière de s'exprimer sur notre expérience du quotidien, sur la vie, sur nos réflexions et sur les préoccupations. C'est vrai aussi pour les arts de la scène sourde : les artistes vont exprimer des composantes de l'identité avec un langage scénique qui est caractéristique. Fait que, je vous laisse entendre, un peu, l'explication de Marie-Claude Paradis qui fait son mémoire de maîtrise sur l'identité sourde dans les arts de la scène : MC: Euh, ben, la première caractéristique, disons, c'est qu'elle est méconnue. Elle n'est pas connue du public entendant, ça ne fait pas partie de la culture populaire. Donc, c'est vraiment une minorité culturelle qui mérite d'être connue, de faire partie d'avantage du paysage culturel artistique québécois. Aussi, c'est une culture qui est très visuelle, qui est très gestuelle donc, il y a une autre façon de s'exprimer sur scène et dans la vie de tous les jours aussi. Ariane: Donc, c'était Marie-Claude Paradis-Vigneault. Et, quelle forme ça peut prendre concrètement ? Anne-Sophie: Ben, les performances auxquelles j'ai assistées lundi, ça met beaucoup l'accent sur la langue des signes. Marie-Claude Paradis-Vigneault expliquait dans sa conférence que la langue des signes, à une certaine époque, ici au Québec mais ailleurs, était interdite alors on attachait les mains des enfants dans les écoles pour les empêcher de signer. Pis, même encore aujourd'hui, la LSQ, la langue des signes, c'est pas encore reconnue comme une langue à part entière. Donc, le langage des signes, c'est vraiment un symbole de reconnaissance pour la communauté sourde. Alors, le déploiement des mains, le maniement des mains, c'est très très valorisé dans les arts de la scène sourde : les artistes qui signent bien, qui ont un langage gestuel très fluide, c'est vraiment apprécié. Ariane: Donc, c'est une pratique artistique qui met l'accent sur l'aspect gestuel, l'aspect visuel ? Anne-Sophie: Oui, exactement ! Pis, une des grandes performances de la soirée, c'était la performance de Pamela Witcher qui était vraiment une performance troublante, très évocatrice. Fait que pour mieux comprendre comment cette performance-là de poésie signée intégrée à un univers visuel s'inscrit dans les arts de la scène sourde, ben, je vous propose de réentendre Marie-Claude Paradis-Vigneault : MC: Oui, ben, en fait, si on prend l'exemple de la première performance de Pamela Witcher qui offrait, en fait, une chanson en langue des signes, donc, c'est elle même : elle est sourde et elle a composé une chanson. Et... donc, devant ces paroles-là, un de ses amis qui est un musicien entendant a composé une musique pour accompagner ses paroles. C'est vraiment, en fait, toute l'importance de l'aspect visuel et toute l'importance de l'expression gestuelle et corporelle qui va être mis de l'avant. Donc, l'important ce n’est pas juste sur les mots précis mais sur toute son expression justement, à la fois gestuelle et visuelle, pis, quand c'est possible aussi de pouvoir intégrer des jeux de lumière au travers ça, c'est vraiment important puisque ça met l'emphase, justement, sur le côté visuel qui est très fort dans la culture sourde. Ariane: Donc, c'est très intéressant. Si on veut voir des performances d'artistes sourds, on peut voir mais... je comprenais là, y'a une po... poésie sourde (excuse-moi ! Y'a du bruit à l'extérieur très fort, je ne sais pas si vous entendez, chers auditeurs ! On est distrait un peu en studio !) Anne-Sophie: Oui, ben, l'aspect visuel est très très important dans les arts de la scène sourde alors, oui, il y a une poésie sourde. Alors, moi, j'ai posé la question à Pamela Witcher après le spectacle. Je lui ai demandé de décrire un peu la poésie sourde, l'art sourd et je lui ai surtout demandé comment elle ressent la poésie à travers le langage signé. Alors je vous propose d'écouter ce qu'elle m'a répondu : Pamela Witcher: Oui, pour moi, ça existe parce que la Langue des Signes a sa grammaire, a ses expressions faciales, a l'espace. À titre d'exemple, la langue Chinoise, tu as tout l'ensemble du [sinogramme] mais, en fait, où vont tous les petits détails font que le seul [sinogramme]... Nous, on perçoit un [sinogramme] alors que c'est une phrase en soi. Ce n’est pas écrit linéairement comme le français et l'anglais. Je ne sais pas si tu peux [comprendre] le parallèle. Donc c'est ça, c'est comme une iconographie si tu veux qui est là. Ben, c'est un peu la même chose en langue des signes donc, dans le mouvement, l'expression faciale et l'espace que j'utilise, ça devient une phrase. Anne-Sophie: Alors, on a bien compris que ce n'était pas Pamela Witcher qui parlait. Alors, quand on faisait l'interview, c'était bien Lina Ouellet, une interprète de langue des signes qui interprétait pour Pamela. Fait que c'est très très très intéressant. Et puis, si y'en a parmi vous qui sont intéressés à voir des performances d'art sourd, eh ben, il faut surveiller des sites web comme celui de Francosourd sur le web ou bien, se mettre ami sur Facebook, par exemple, avec la Société Culturelle des Sourds du Québec. En étant ami avec eux sur Facebook, vous allez recevoir des invitations, être au courant, un peu, de ce qui se passe dans la vie culturelle. Il faut aussi surveiller les spectacles Interart, ces deux interprètes Joëlle Fortin et Martin Asselin qui interprètent les personnages des pièces de théâtre en même temps que des acteurs parlant. Eux, [ils] font à peu près un spectacle par année. Alors : Spectacle Interart. Et puis, pourquoi pas, se faire ami avec des sourds, apprendre la LSQ, assister à des évènements, par la suite, de la communauté sourde de Montréal pendant lesquels y'a parfois des sketches, des spectacles. Alors, c'est vraiment un univers très intéressant, une scène culturelle vraiment fascinante avec de véritables artistes. C'est vraiment fascinant. Ariane: Ben, merci de nous l'avoir fait explorer d'avantage, de nous l'avoir fait connaître. Merci Anne-Sophie. Anne-Sophie: Merci à vous ! Ariane: Et, c'est ce qui conclut notre émission d'aujourd'hui du 19 janvier 2012.